Répercussions Psychologiques Et Physiologique D'un Entrainment A La Prise De Conscience Du Corps

Abstract:

During a period of research which was carried out from 1976 to 1979, the authors tested the effects of body-awareness training on perception, memory and skin temperature. The results of the various experiments point without any doubt to the same conclusions. Indeed, in all cases, the experimental groups proved significantly superior to the control groups. Data collected show that the Feldenkrais techniques bring about psychological and physiological changes and probably promote the exploitation of the individual’s potential.

Key words: Suggestopedy, Body awareness, Euthony, Memory, Perception, Skin temperature, Selective attention

Mots clés: Suggestopédie, Prise de conscience du corps, Eutonie, Mémoire, Perception, Température cutanée, Attention selective

1.1. La suggestopédie.

Les recherches successives que nous avons menées, de 1976 à 1979, afin d’évaluer les répercussions d’un entraînement à la prise de conscience du corps dans la perspective d’une augmentation des potentialités de l’individu (FRYDMAN, DIERKENS et ABELS, 1977; P. et M. FRYDMAN,1978 et 1979), méritent à présent, nous semble-t-il, d’être synthétisées. Si elles ont porté, chaque fois, sur des échantillons occasionnels et relativement restreints, les résultats concordants enregistrés dans diverses expérimentations appartenant aux domaines de la psychopédagogie, nous autorisent, aujourd’hui, à tirer une série de conclusions à caractère opérationnel.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler, préalablement, que nos travaux se situent dans le prolongement des études de LOZANOV (1973 et 1976), d’une part, et surtout celles d’ALEXANDER (1977) ou de FELDENKRAIS (1971), de l’autre. Ces auteurs estiment, avec de nombreux spécialistes appartenant à diverses disciplines, que l’être humain n’exploite qu’une part infime des ses ressources.

En testant plusieurs techniques thérapeutiques, dont l’hypnose, et en présence des effets positifs observés – l’activation intellectuelle sous toutes ses formes en particulier –LOZANOV a considéré que la suggestion était le mécanisme curatif essentiel. Dans un second temps, étendant ses recherches à l’apprentissage, notamment à l’acquisition d’une seconde langue, il a développé un point de vu identique en ce qui concerne le rôle joué par la suggestion. L’accroissement considérable des possibilités mnémoniques des individus qui fut mis en évidence – dans certaines circonstances, on a assisté à la fixation de centaines de mots étrangers en une seule séance – a été attribué à l’influence de cette variable. L’auteur bulgare a cru pouvoir affirmer que la suggestion est le facteur responsable de l’augmentation des performances de la mémoire. Une discipline nouvelle a ainsi pris naissance au cours des années 1960 : la suggestopédie qui est tout simplement l’application pédagogique des données de la suggestologie, c’est-à-dire des études axées sur la suggestion. Testée d’abord à Sofia, ensuite au Canada, par RACLE et ses collaborateurs (1973 et 1974), la suggestopédie a fourni, dans les deux cas, des résultats très intéressants. Les groupes qui avaient bénéficié d’un enseignement <<suggestopédique>> se sont révélés significativement supérieurs aux groupes de contrôle soumis aux conditions d’apprentissage traditionnelles. En dépit du grand intérêt qu’elle présente, on ne trouve cependant pas, dans l’œuvre féconde de LAZANOV, ni dans les travaux canadiens, une recherche pédagogique basée sur un plan expérimental rigoureux qui aurait assuré le contrôle des diverses variables, dont l’action conjuguée seule, nous dit l’auteur, conduirait à l’utilisation des potentialités gardées <<en réserve>> de l’individu. De telles affirmations restent toutefois hypothétiques et leur vérification impliquerait une série d’expérimentations successives (qui n’avaient pas été entreprises jusque-là) où chacune des variables serait manipulée à tour de rôle en permettant ainsi d’évaluer, de manière indiscutable, son incidence éventuelle sur les résultats obtenus. De plus, LOZANOV ne s’exprime pas toujours sans ambiguïté, notamment lorsqu’il fait allusion aux effets de la musique ou de l’état de relaxation des sujets sur la fixation d’un matériel dans la mémoire. L’assertion suivant laquelle <<la suggestopédie n’est pas fondée sur la décontraction musculaire>>, <<qu’il ne s’agit pas d’une relaxopédie>>, n’est-elle pas en opposition avec la détente physique et psychique délibérément crée dès le début de l’apprentissage? La musique et la relaxation sont-elles susceptibles d’améliorer les performances de la mémoire? Nous ne disposions toujours pas l’informations objectives pour répondre de façon catégorique à cette question.

1.2. La prise de conscience du corps.

Le second pivot sur lequel reposait notre première recherche était constitué par les méthodes de prise de conscience du corps.

L’eutonie proposée par ALEXANDER permet de progresser dans la connaissance de soi, tout en favorisant l’adaptation au monde extérieur. L’auteur présente un programme comportant trois grandes parties dont les objectifs sont les suivants:

  1. le développement de la sensibilité superficielle et profonde (muscles, organes, os) qui exercerait une influence sur le tonus et l’équilibre neuro végétatif;
  2. la relation avec le monde extérieur éduquée par le <<contact>> qui permettrait d’inclure dans la conscience l’espace environnant;
  3. l’exécution du mouvement de manière eutonique demandant le recours au minimum d’énergie.

Selon ALEXANDER, le travail conscient d’équilibration des tensions conduit à une maturation de la personnalité. L’équilibre tonique ainsi réalisé –ou eutonie – est la capacité de s’adapter harmonieusement aux circonstances les plus variées de l’existence où tout mouvement serait effectué avec un maximum d’efficacité.

La technique de Feldenkrais, comme l’eutonie, permet à l’individu de progresser dans la prise de conscience, de développer sa sensibilité proprioceptive, d’enrichir son vécu intérieur et sa relation avec autrui. Centrée sur le mouvement conscient, elle vise, en réalité, l’entraînement de toutes les fonctions, tant mentales que corporelles. Fondée sur des lois physiologiques, la méthode impliquerait la participation consciente des zones intégratives du système nerveux central et favoriserait l’exploitation plus complète des potentialités. L’auteur estime que l’homme pourrait décupler ses facultés en prenant pleinement conscience de son corps. Un tel objectif exigerait d’abord la prise de conscience de toutes les parties de l’organisme afin d’obtenir une image de son complète. La démarche suggérée consiste à enrichir l’image de soi par un travail systématique portant sur le mouvement avec représentation mentale, au lieu de s’appliquer à la correction d’actes isolés, ce qui reviendrait à agir au niveau de symptômes. En résumé, la progression passerait par la prise de conscience. Celle-ci correspond à un état de veille renforcé grâce auquel le sujet sait exactement quel comportement il mettra en jeu. Pour illustrer ces conceptions, reprenons un exemple cité par FELDENKRAIS, celui d’un homme âgé de quarante ans qui, ayant consulté un médecin à la suite de douleurs lombaires, découvre qu’une de ses jambes est plus courte que l’autre. Il ne s’en était pas aperçu jusque-là et son état de veille était plus proche de l’état de sommeil que de la prise de conscience. L’individu ne modifie pas aisément ses conduites. Le changement, nous dit l’auteur, est rendu possible par la prise de conscience, et l’acquisition de celle-ci mènerait à l’autonomie. Nous pouvions néanmoins nous demander si ces considérations ne restaient pas, elles aussi, purement hypothétiques. Sans doute, les techniques de prise de conscience avaient-elles fait leurs preuves sur le plan clinique et, par exemple, dans le traitement de différents troubles psychosomatiques, des arthroses, ou de certains traumatismes. Leur incidence n’avait cependant pas été vérifiée de manière scientifique à l’aide d’une expérimentation basée sur le contrôle des diverses variables susceptibles de contaminer les résultats obtenus. Il es clair que cette procédure est la seule qui permette d’établir une relation de cause à effet.

Voilà l’optique dans laquelle nous avons entamé nos propres recherches.

II. - Approche Expérimentale Des Effets De La Prise De Conscience Du Corps

2. L’apprentissage d’une langue étrangère.

Dans un premier travail (2), nous avons testé l’effet de deux variables sur l’acquisition d’une langue étrangère – le russe en l’occurrence – et sur la conservation à moyen terme des notions acquises. Il s’agissait d’une étude limitée dans le temps (dix leçons), ne portant que sur des échantillons restreints (huit sujets par échantillon), mais réalisée dans une situation expérimentale dont tous les aspects étaient parfaitement contrôlés. Les trois groupes d’étudiants ont reçu le même professeur et ils furent placés dans des conditions en tous points identiques – pour lesquelles nous nous sommes inspirés partiellement des principes de la suggestopédie – sauf, bien entendu, en ce qui concerne les deux variables indépendantes. Nous avons ainsi évalué les répercussions, sur l’apprentissage, d’un état de relaxation obtenu à l’aide de musique classique (premier groupe expérimental), et d’un entraînement à la prise de conscience d’après la technique de Feldenkrais (second groupe expérimental). Les sujets de ce deuxième échantillon furent soumis à environ dix heures de formation pendant la semaine qui avait précédé les séances de cours et bénéficièrent, en outre, d’une vingtaine de minutes de préparation avant chacune de celles-ci. L’administration d’un premier test, immédiatement après l’apprentissage, a révélé un écart significatif entre les performances du groupe Feldenkrais et celles des deux autres échantillons. L’application de la même épreuve, un mois plus tard, a confirmé la supériorité du second groupe expérimental (B) dont les sujets n’avaient perdu que 2,85 %, en moyenne, par rapport aux scores réalisés au premier moment, alors que A et C perdaient respectivement 8,26 et 21,76 % (voir dispositif, tableau I).

Tableau I
Représentation schématique du dispositif.

Groupes Traitements Post tests

A
B
C

X1Y1X2Y2X3Y3X4Y4X5Y5
X’0 X’1YX’2YX’3YX’4YX’5Y
Y1Y2Y3Y4Y5
01 04
02 05
03 06

Y = cours de russe (10 leçons en 5 séances).
X = programme de musique classique.
X’0 = entraînement intensif à la prise de conscience du corps
(méthode Feldenkrais) au cours de la semaine précédant l’apprentissage.
X’ = exercices de prise de conscience avant chaque leçon.
0 = observations post expérimentales.

La progression au niveau de la prise de conscience du corps semble donc bien favoriser l’apprentissage d’une langue étrangère et la rétention des acquisitions. Les membres du groupe B n’ont généralement ressenti aucune fatigue; ils terminaient les séances qui se déroulaient de 18 à 20 heures, c’est-à-dire après une journée de cours, dans un état de fraîcheur qui les surprenait et avaient l’impression que les possibilités de leur mémoire s’étaient nettement accrues. Cette impression subjective fut corroborée par les résultats de l’expérience, mais il était évidemment prématuré de songer à leur généralisation. Un vaste domaine d’études, encore insuffisamment exploré, était donc offert à la recherche. C’est dans cette perspective que nous nous sommes proposé, dans un second temps, de tester les répercussions d’un entraînement à la prise de conscience du corps sur le fonctionnement de la mémoire visuelle et auditive ainsi que sur la perception visuelle.

2.2. Effets du traitement sur la mémoire et la perception.

2.2.1. Introduction.

Les résultats enregistrés au cours de notre première recherche demandaient assurément à être confirmés. Nous avons donc élaboré une série d’expérimentations successives destinées à tester les répercussions éventuelles de la prise de conscience du corps sur la mémoire, visuelle ou auditive, et sur la perception visuelle. Plusieurs échantillons occasionnels ont été constitués. Chaque échantillon comprenait une douzaine d’étudiants – ages de 20 ans en moyenne – de l’Université de l’Etat à Mons ou de l’Institut Supérieur de l’Etat de kinésithérapie a Bruxelles. Les deux groupes expérimentaux ont été soumis à un traitement comportant dix et onze séances que se sont étalées sur une période de deux à trois mois.

2.2.2. Hypothèses à tester.

1. L’entraînement à la prise de conscience du corps favorise la fixation des éléments contenus dans un texte structuré.

2. Entraînement à la prise de conscience du corps améliore l’acquisition d’une série de mots étrangers.

3. Les techniques de Feldenkrais favorisent la fixation de mots présentés successivement sur un écran.

4. Dans le cadre de la fixation d’une liste de mots présentés à la vue, la prise de conscience du corps est plus efficace qu’une technique de relaxation ou l’utilisation de détours mnémoniques.

5. L’entraînement à la prise de conscience augmente le rendement de l’individu dans le domaine de la perception visuelle.

2.2.3. Le traitement.

La durée des séances était généralement de 60 à 90 minutes. Chacune de celles-ci, quelle que fut la position de départ (couché facial, dorsal, assis ou debout), débutait par une observation attentive des différentes parties du corps et de leur contact avec le sol. Le travail spécifique d’une région s’effectuait toujours au niveau d’un coté du corps, de manière à permettre la comparaison entre le coté conscient e l’autre. Les sujets avaient ainsi l’occasion de découvrir leurs propres références, à partir du vécu corporel personnel, condition essentielle de l’accomplissement conscient d’un acte. Toutes les leçons comprenaient donc une période d’intégration fonctionnelle et de prise de conscience par le mouvement. Après la séance, les sujets étaient invités à exprimer librement leur vécu et nous avons ainsi pu réunir des données d’ordre qualitatif extrêmement intéressantes.

2.2.4. Les post tests.

2.2.4.1. Tests de mémoire auditive.

Pour évaluer les répercussions de la prise de conscience du corps sur la mémoire auditive, nous avons eu recours à deux tests. Le premier était basé sur un texte de WOODWORTH (1949). Le choix de ce dernier était fonction de sa commodité car, composé exactement de cent unités significatives, il se prêtait aisément à un calcul de pourcentages. C’est la méthode des éléments retenus qui a été appliquée et le score, dans ce cas, correspond au nombre d’éléments correctement reproduits après deux lectures successives du texte. Le groupe expérimental et le groupe de contrôle ont subi le test dans des conditions rigoureusement identiques en ce qui concerne le choix du local, le moment de la journée, les consignes, etc.; de plus, la même personne a été chargé de la lecture dans les deux situations.
Nous avons également élaboré une épreuve originale, plus spécialement destinée à la vérification de notre deuxième hypothèse, composée de seize mots hongrois de deux syllabes. La langue étrangère choisie, était, bien entendu, totalement ignorée par tous les étudiants. Dans l’enregistrement qui fut réalise, nous avons prévu, pour chaque item, la présentation d’un substantif hongrois à trois reprises, avec un intervalle de deux secondes entre les répétitions, la séquence étant suivie immédiatement par le terme franchis correspondant. Dans un second temps, les mêmes mots étaient proposés une nouvelle fois aux sujets, mais dans un ordre aléatoire, donc différent du précédent, de manière à éviter toute possibilité d’association par sériation. Un intervalle suffisant séparait les items et permettait la notation du mot franchis. Toutes les précautions furent prises pour assurer aux deux groupes des conditions de travail identiques. L’utilisation de l’enregistreur écartait l’éventualité d’une modification du rythme ou de l’intonation; l’épreuve s’est déroulée dans le même local, avec le même magnétophone dont les diffuseurs étaient placés de façon identique.

2.2.4.2. Tests de mémoire visuelle.

Nous avons repris à DENIS (1975), l’épreuve administrée en post test. Celle-ci avait servi de modèle à la mise au point de six séries supplémentaires. La première a constitué le pré test qui a permis d’établir que les trois groupes expérimentaux – le groupe Feldenkrais (A), le groupe B qui avait bénéficié d’une initiation à la relaxation induite par sophronisation et le groupe C dont l’entraînement était limité à l’utilisation de détours mnémoniques – ne différaient pas au regard de la variable étudiée. Les moyennes de ces trois échantillons à l’épreuve pré expérimentale étaient extrêmement proches (13,33 pour A; 13,82 pour B; 13,70 pour C) et l’analyse de variance n’a fait apparaître aucune différence significative, le F étant inférieur à 1. Les cinq autres séries furent proposées aux trois groupes pendant la période d’apprentissage au rythme d’une par semaine. Les sept séries étaient composées de trente noms concrets qui apparaissaient pendant trois secondes sur un écran avec un intervalle inter-items d’une seconde et demie. Les tests comprenaient des noms assez peu employés dans le langage courant, de fréquence égale ou inférieure à 15, d’après les tables de GOUGENHEIM et al. (1956). Nous avons cependant veillé à ce que les items présentant une certaine proximité sémantique ou phonétique ne se trouvent pas en succession immédiate. Chacune des séries était l’objet d’une seule présentation au terme de laquelle les sujets disposaient de deux minutes pour restituer, par écrit, les éléments retenus. Il suffisait, dès lors, d’attribuer un point par élément correctement rappelé pour déterminer le score.

2.2.4.3. Tests de perception visuelle.

Deux observations pré expérimentales avaient été effectuées lors d’un testing individuel auquel furent soumis les sujets du groupe A(voir dispositif, tableau II).Elles avaient pour objectif l’établissement de deux seuils de perception visuelle qui ont été déterminés à l’aide d’un tachistoscope.

Les cinquante items du premier test étaient constitués par des mots de quatre lettres, des majuscules noires de 7 cm de hauteur et de 3 cm de largeur. Les stimuli de la seconde épreuve étaient composés d’ensembles de quatre lettres de même dimension que nous avions assemblées de manière aléatoire en recourant à une table de nombres au hasard. En pré testant les items nous avons constaté qu’ils ne se caractérisaient pas tous par le même degré de difficulté, particulièrement, ceux de la deuxième série. Il était donc indispensable d’associer chaque stimulus à un temps d’exposition déterminé afin que les comparaisons entre les sujets et entre les moments eussent une signification. Nous nous sommes heurtés à une autre difficulté, celle de la méthode à mettre en œuvre pour calculer les scores des individus. Un seuil identique, en effet, pouvait être atteint avec ou sans échec partiel antérieur, car nous poursuivions les essais jusqu’à l’apparition de trois succès et, à l’autre extrémité, de trois échecs consécutifs. Or, nous n'avons pas trouvé, dans la littérature, une technique indiscutable ayant obtenu l’accord unanime des spécialistes en la matière. Après tâtonnements, le critère suivant a été retenu: le score serait déterminé par la performance la meilleure à laquelle il y aurait lieu, néanmoins, d’ajouter un certain nombre de points en fonction des échecs précédents éventuels. Si, par exemple, un individu réussit à lire les items présentés aux seuils 14/1000e, 13/1000e, 12/1000e et 10/1000e de seconde en échouant à 11/100e ainsi qu’à 9/1000e et au-delà, le score doit être, dans ce cas, de 10/1000e + 1/1000e = 11/1000e de seconde, ou 11. Nous disposions donc, pour chaque sujet, de deux seuils qui allaient pouvoir être confrontés avec les performances réalisées par les mêmes individus lors des post tests, mais également avec celles du deuxième groupe expérimental et du groupe de contrôle qui n’avaient été soumis qu’à la seconde épreuve, celle des lettres. Nous avons élaboré un dispositif à deux moments d’observation. Ce dernier devait permettre la comparaison des résultats obtenus par un même groupe au pré test et au post test ainsi que la comparaison des trois échantillons au niveau des gains relatifs entre les deux moments.


Tableau II
Dispositif expérimental.

Groupes Pré tests Traitements Post tests

A
B
C

01 02
03
0''2
X
X'
03 04
0'4
0''4

X et X’ = entraînement à la prise de conscience du corps assuré par deux
personnes différentes.

Si la technique proposée par FELDENKRAIS a un effet sur l’utilisation des potentialités exigées par l’activité perceptive, nous devions enregistrer, en principe, une amélioration significative de la performance au niveau des groupes expérimentaux. Nous savons, cependant, que les sujets qui subissent un test pour la deuxième fois, ont des notes qui diffèrent systématiquement de leurs notes initiales. Nous pouvions normalement nous attendre, alors, à une seconde moyenne supérieure à la première. Dans notre recherche, il n’était pas impossible que le pré test, en renforçant la motivation des individus, en attirant leur attention sur l’objet de l’expérience, ou tout simplement, en rendant la situation plus familière, eût une incidence indépendamment du traitement. Afin de contrôler la variable <<effets du pré test>>, un troisième groupe d’étudiants (C) a également été soumis, à deux reprises, à l’épreuve des lettres. Le gain éventuel de C pouvait, le cas échéant, être confronté à celui des groupes expérimentaux, après un intervalle de temps équivalent pour tous les échantillons.

2.2.5. Analyse des résultats.

2.2.5.1. Effets sur la mémoire auditive.

L’analyse de variance fait apparaître une différence significative entre les deux échantillons, tant au test de Woodworth – où les moyennes sont, respectivement, de 52,36 pour le groupe expérimental et de 38,09 pour le groupe de contrôle – qu’à celui des mots hongrois pour lequel les moyennes sont de 2,64et 1,5. Malgré une variabilité interindividuelle importante, la valeur du F calculé (F = 4,48 et F = 4,63) est supérieure, dans les deux cas, au F théorique (4,35) à .05. Si les scores obtenus à la seconde épreuve sont tous relativement faibles, c’est parce que celle-ci est particulièrement exigeante et nous ne devons pas tenir compte des résultats bruts, mais plutôt de la mise en évidence de l’effet qui ne paraît pas contestable.

La différence observée entre les groupes provient donc vraisemblablement d’une cause systématique – le traitement en l’occurrence – et nous pouvons considérer que les hypothèses 1 et 2 sont vérifiées.

2.2.5.2. Incidence sur la mémoire visuelle.

La comparaison des moyennes enregistrées à l’épreuve post expérimentale permet, non seulement de situer les différents groupes les uns par rapport aux autres, mais aussi par rapport aux résultats pré expérimentaux. Nous constatons, par exemple, que la moyenne du groupe de contrôle (D), qui n’a bénéficié d’aucun traitement est pratiquement identique à celle que les trois groupes expérimentaux obtiennent au pré test. Les sujets de C, qui avaient appris à recourir aux détours mnémoniques, ont progressé de près de 8 % (en termes de gains relatifs). Ils ont donc réalisé une performance nettement supérieure (15), à la fois à celle de D (13) et à celles des deux groupes de DENIS qui avaient subi soit l’apprentissage des mêmes noms sans traitement préalable (12,52), soit un tel apprentissage précédé par une activité d’imagerie mentale suscitée pour cette même série de 30 noms (13,21). L’écart entre C et D n’est pas significatif. Nous pouvons relever également que les sujets de B, initiés à la relaxation, n’ont pas progressé. En réalité, les étudiants de cet échantillon avaient amélioré leurs scores, au début, dans une mesure comparable à C, mais à partir du moment où les séances de relaxation furent introduites, nous avons observé une régression. En revanche, pour le groupe Feldenkrais (A), le gain relatif entre les deux moments est 19,38 % et lav comparaison des moyennes enregistrées à l’épreuve post expérimentale fait apparaître la supériorité de ce groupe (16,5) sur tous les autres. Nous pouvons raisonnablement supposer que l’évolution des cet échantillon est bien due à l’intervention du traitement. En effet la comparaison, au post test, des moyennes des quatre groupes pris deux à deux (t de Student) révèle que les écarts entre A et D ainsi qu’entre A et B sont significatifs. En échantillonnant un plus grand nombre de sujets dans chaque groupe, il n’est pas impossible que le seuil de signification eût pu être atteint également pour la différence observée entre A et C.

Nos quatre premières hypothèses sont donc bien confirmées par les résultats de l’expérimentation. La méthode de prise de conscience préconisée par FELDENKRAIS s’est révélée efficace, tant dans les épreuves de mémoire auditive ou visuelle que dans l’acquisition d’une langue étrangère. Elle paraît donc particulièrement opportune si l’objectif est l’augmentation du rendement de la mémoire, au moins à court ou à moyen terme.

2.2.5.3. Effets sur la perception visuelle.

L’administration en pré test et en post test de l’épreuve de perception visuelle a révélé, pour A, une progression sensible et significative aux deux épreuves qui furent appliquées (à .005 pour les mots et à .10 pour les lettres). Les pourcentages de gain, pour l’ensemble du groupe, sont respectivement de 54,6 et 27 %. En examinant les performances individuelles, nous constatons qu’après le traitement, tous les sujets, sans exception, améliorent leurs scores pour chacune des deux séries de stimuli et, dans certaines cas, de manière remarquable. Dans le groupe B, nous constatons également que, pour dix étudiants sur douze, la performance du post test est supérieure à celle du pré test et le pourcentage de gain et de 41,04 %. De tels résultats s’expliquent-ils par une accoutumance aux conditions de testing, assez inhabituels il est vrai imposées par l’utilisation du tachistoscope ? Il ne semble pas car, dans le groupe de contrôle, les progrès restent peu importants et la différence entre les moyens (19,7 et 18,6) n’est pas significatif. L’analyse de variance calculée sur les notes de gain fait d’ailleurs apparaître une différence significative entre les moyens des gains, puisque la valeur du F dépasse le niveau de p = .05. L’administration du pré test ne justifie donc pas, à elle seule, l’évolution des groupes expérimentaux que ne peut s’expliquer, par conséquent, que grâce à l’intervention du traitement.

Notre hypothèse est donc bien confirmée: la prise de conscience du corps permet à l’individu de progresser sur le plan de la perception visuelle. Nous sommes en présence d’une exploitation plus adéquate des ressources qui découle vraisemblablement d’un relèvement du niveau de veille.

3. Effets De La Prise De Conscience Du Corps Sur La Température Cutanée

3.1. Justification.

Les résultats incontestablement intéressants que nous avions obtenus au cours des diverses expérimentations où furent testées les répercussions des techniques de Feldenkrais sur la mémoire et la perception nous ont incités à continuer nos recherches. Si le traitement déterminait des changements d’ordre psychologique, nous pouvions supposer que ces derniers allaient de pair avec des modifications physiologiques. Il paraissait donc judicieux de vérifier également l’effet éventuel d’un entraînement à la prise de conscience du corps sur une variable essentiellement physiologique. C’est ainsi que nous nous sommes intéressés à la température cutanée.

3.2. La fonction thermique.

Dans un ouvrage récent, HOUDAS et GUIEU (1977) ont particulièrement bien étudié l’ensemble des problèmes qui se posent dans le domaine de la thermophysiologie. C’est à partir de leur publication que nous avons réuni les données indispensables à la mise au point de notre dernière expérimentation. Les auteurs cités rappellent, avant tout, que l’homme est homéotherme, c’est-à-dire que sa température centrale est relativement constante malgré les variations de la température ambiante et ceci grâce à l’intervention dynamique de mécanismes physiologiques régulateurs. Ces derniers permettent, d’une part, le transfert de chaleur du noyau central (muscles, viscères), vers la périphérie (peau et tissus sous-cutanés) et, d’autre part, de la périphérie vers l’ambiance. Les différents points du corps ne sont pas à la même température. Ainsi, la peau, influencée par l’environnement, est moins homéoterme. La partie la plus importante des échanges thermiques se fait par le sang. Le flux de chaleur perdu par la peau est donc fonction du débit sanguin cutané, lui-même sous la dépendance de l’état vasomoteur de la circulation cutanée. On peut donc s’attendre à ce que des tensions musculaires, conscientes ou inconscientes, en déterminant une vasoconstriction, modifient la température cutanée des zones voisines. La topographie d’une région cutaneé dépend du bilan thermique de cette région. Celui-ci est influencé par les facteurs internes et externes. La température cutanée doit donc se définir pour une condition ambiante déterminée soit en régime permanent, soit lors de variations des conditions ambiantes, c’est-à-dire en régime transitoire. Il y a <<état stable>> ou <<régime permanent thermique>> lorsque la production thermique de l’organisme reste constante et si aucun des paramètres thermiques de l’ambiance ne varie. L’organisme est alors en équilibre thermique car les gains et les pertes sont équivalents. Une autre condition à la normothermie, nous disent HOUDAS et GUIEU, est la neutralité thermique. Il s’agit de l’ensemble des conditions pour lesquelles, en régime permanent, aucun mécanisme régulateur ne doit entre mis en œuvre. Cet équilibre est reálisé lorsque l’individu est au repos, nu, dans une ambiance homogène, à une température de 30° C, la vitesse de déplacement de l’air étant faible (0,5 m/s). La température cutanée de 33,5 ° C, mais elle varie d’une région à l’autre. Dans certaines conditions, le concept de neutralité peut toutefois être étendu au cas du sujet au repos sous protection vestimentaire. Lorsque l’une des conditions de la neutralité thermique se modifie, le sujet est en régime transitoire. Pour recouvrer un nouveau régime permanent, après stabilisation des conditions de normothermie, il faut de quinze à vingt minutes. Parmi les facteurs susceptibles de modifier la température du corps, citons notamment:

  • l’activité musculaire;
  • le cycle circadien;
  • le cycle menstruel;
  • la digestion
  • le métabolisme.

Ajoutons que le flux de chaleur de l’organisme se propage du noyau vers la peau par la circulation sanguine. La vasodilatation des vaisseaux cutanés entraîne donc une augmentation du débit sanguin périphérique du flux de chaleur apporté à la peau et de la température cutanée. La vasoconstriction a des effets inverses. A la neutralité thermique, les vaisseaux cutanés sont dans un certain état de vasoconstriction. Les modifications vasculaires périphériques ne sont pas de simples phénomènes locaux, mais dépendent des centres nerveux thermorégulateurs (le tonus vasoconstricteur étant assuré par le système sympathique adrénergique). La vasodilatation peut résulter soit d’une inhibition du tonus vasoconstricteur, soit d’une action humorale (bradykinine).

Rappelons encore que les structures nerveuses centrales de contrôle se situent au niveau de l’hypothalamus, la partie antérieure intervenant dans la thermolyse et la partie postérieure dans la thermogenèse. Il faut noter, en outre, que le mésencéphale haut exerce une action inhibitrice tonique sur les structures inférieures et assure ainsi un mécanisme d’intégration. Nous signalerons, enfin, qu’un certain nombre de neurones de la réticulée mésencéphalique présentent une thermosensibilité élevée. Il s’agit le plus souvent de neurones sensibles au froid s’apparentant à un inter neurones à fonction intégrative d’informations transmises à distance.

3.3. Hypothèses à tester.

3.3.1 L’entraînement à la prise des consciences du corps, selon la technique de Feldenkrais, a des répercussions sur la température cutanée paravertébrale.

3.3.2. La prise de conscience du corps détermine une homogénéisation des températures para vertébrales.

3.3.3. Les techniques de Feldenkrais permettent de régulariser une température qui, par rapport aux régions controlatérales ou voisines, est anormalement basse.

3.3.4. L’entraînement à l’eutonie détermine une modification des températures cutanées de la région lombaire.

3.4. Constitution des échantillons.

Pour cette nouvelle phase de nos recherches, nous avons constitué quatre échantillons occasionnels comportant respectivement 11, 21, 6 et 32 étudiants. Le traitement appliqué à A est celui que nous avons présenté plus haut (prise de conscience du corps, d’après la technique de Feldenkrais), tandis que les sujets du second groupe expérimental (B) avaient bénéficié, pendant un an et demi, d’un entraînement intensif à l’eutonie. Les étudiants des deux groupes de contrôle n’ont subi que les épreuves post expérimentales. Ceux de D n’ont été testés qu’une seule fois. Par contre, les six individus de C furent soumis à cinq mesures successives étalées sur une période de quinze jours (voir tableau III). Cette procédure a permis d’étudier l’évolution dans le temps des températures cutanées de la région lombaire en l’absence de tout traitement.

3.5. Le pré test.

L’épreuve pré expérimentale avait pour objet l’enregistrement des températures cutanées para vertébrales dans des conditions absolument identiques à celles du post test de manière à permettre une comparaison entre les deux moments. Toutes les variables parasites susceptibles de modifier les températures cutanées ont été, autant que possible, contrôlées. C’est ainsi, par exemple, que toutes les mesures ont été effectuées dans un local dont l’isolation thermique était poussée, à une température d’ambiance constamment maintenue à 22° C avec 60 % d’humidité relative; en outre, les sujets furent testés au même moment de la journée (entre 18 et 20 heures), vêtus de manière identique (un même training couvrait le sous-vêtement minimum), et en n’étant pas en période de digestion. Ces conditions sont celles qui correspondent à la <<neutralité thermique>>, telle qu’elle est définie par HOUDAS et GUIEU, et permettent donc à l’organisme d’être en équilibre thermique avec l’ambiance. Les températures cutanées ont été relevées automatiquement pendant une période d’une heure – 30 minutes en couché facial et 30 minutes en couche dorsale -, à raison d’une mesure toutes les cinq minutes, grâce à un thermomètre à thermistances relié à un enregistreur. Six sondes étaient fixées de part et d’autre de la colonne vertébrale, aux niveaux C7, D8 et L4, à l’aide d’un sparadrap hypoallergique. Nous disposions donc, pour chaque sujet, de 13 séries de 6 mesures (du point 0 au point 60).

3.6. Le post test.

Lors de l’application de l’épreuve post expérimentale, les sujets de A ont été placés dans des conditions en tous points identiques à celles du pré test. Les séances se sont déroulées dans le même local dont la température ambiante est restée identique, les mesures ont été relevées au même moment de la journée, etc. La seule différence, par rapport au premier moment, se situait au niveau d’une courte mise en train d’une quinzaine de minutes qui comportait quelques exercices de prise de conscience du corps. Dès la fin de celle-ci, nous avons procédé, pendant une heure,

Tableau III
Dispositif expérimental.

Groupes Pré tests Traitements Post tests N

A

0P X1O1 X1O11 OP 11
B   X O'L1 21
C     O''L5 6
D     O'''L1 32

OP: mesures pré expérimentales (températures).
OP et OL: mesures post expérimentales (températures).
O1 à O11: observations qualitatives.
X: entraînement à la prise de conscience du corps (méthode Feldenkrais).
X': entraînement à l’eutonie (méthode Alexander).
L1: température lombaire testée à une occasion.
L5: température lombaire testée à cinq reprises.

à l’enregistrement des températures cutanées para vertébrales. Les sujets des autres groupes furent testés de la même manière et pendant un temps identique, mais aucun exercice préalable n’était évidemment prévu.

3.7. Résultats.

3.7.1. Effets de la méthode Feldenkrais.

Nous disposions pour A, de treize séries de six mesures pré expérimentales et de treize séries post expérimentales correspondant aux trois niveaux testés (7e verticale, 8e dorsale et 4e lombaire). Chaque niveau donnait lieu à deux mesures para vertébrales (gauche et droite). En calculant la moyenne des six températures relevées à chaque moment, nous pouvions donc procéder à treize comparaisons entre les moyennes obtenues avant l’administration du traitement et celles obtenues au même moment en post test. L’évolution des températures cutanées des régions para vertébrales, de la situation pré expérimentale à la situation post expérimentale, est fort bien illustrée par les courbes présentées dans le cadre du tableau IV (voir page 86). Nous constatons qu’à partir du moment 4, la température est toujours plus élevée au post test et surtout que l’écart par rapport à la moyenne du pré test croit progressivement. Cet écart est de 0,31 et de 0,34° C aux moments 8 et 9, mais il atteint 0,45 et 0,49 aux deux suivants ; aux moments 12 et 13, enfin, il est respectivement de 0,53 et 0,72° C. Pour les quatre derniers, l’analyse de variance révèle une différence significative entre les mesures qui ont précédé et celles qui ont suivi le traitement. En dépit d’une variabilité inter individuelle non négligeable, la valeur du F et du T dépasse le niveau de p = .05 ou, parfois, de .01 et l’hypothèse 3.3.1. est donc bien confirmée.

3.7.1.1. Discussion.

La comparaison des mesures effectuées en pré et post test, nous permet de considérer que l’entraînement à la prise de conscience du corps a une incidence sur les températures cutanées para vertébrales. Ne perdons pas de vue que le temps nécessaire à la stabilisation des températures est d’une vingtaine de minutes (HOUDAS et GUIEU) et il n’y aurait pas lieu, par conséquent, de s’attendre à l’obtention d’une différence significative entre les données enregistrées au début de chaque séance. Ce sont, au contraire, les comparaisons établies au cours de la seconde partie de celles-ci qu’étaient les plus susceptibles de révéler un effet du traitement. Or, pendant les trente dernières minutes, les écarts sont d’abord fort proches du seuil de signification à .05 qui est dépassé aux quatre derniers moments.

3.7.1.2. L’homogénéisation des températures cutanées para vertébral.

La vérification de la première hypothèse impliquait une diminution de l’hétérogénéité des températures moyennes relevées aux différents points du corps. Autrement dit, la variance des températures devait, au post test, être inférieure à la variance du pré test. Dans cette perspective, nous avons comparé, à chaque moment, les variances entre les six températures de l’épreuve pré expérimentale à celles de l’épreuve post expérimentale. Chaque variance était calculée à partir d’un tableau d’analyse de variance à deux dimensions croisées (points du corps X sujets) donnant une variance entre sujets, une variance entre les points du corps et une variance résiduelle. Cette analyse montre que la variance du pré test est inférieure à la variance du post test aux deux premiers moments ainsi qu’au 8e et au 9e. Par contre, aux neuf autres moments c’est la variance du post test qui est chaque fois inférieure à l’autre. Les quatre derniers moments révèlent une différence croissante et, au treizième, le F de Snedecor-Fischer (rapport de la variance la plus élevée à la variance la plus basse) dépasse le seuil de signification en dépit du nombre réduit de degrés de liberté. Notre hypothèse 3.2.2. semble donc bien confirmée.

Par ailleurs, nous avons également vérifié quelle était, à chaque moment, la proportion de sujets pour lesquels la variance

 

post test était inférieure à la variance pré test. A l’exception des moments 1 et 8 où nous observons l’inverse, cette proportion oscille constamment entre 60 et 80 % pour atteindre 90 % au moment 13, ce qui tend également à confirmer l’hypothèse suivant laquelle la prise de conscience du corps détermine une homogénéisation des températures para vertébrales.

3.7.1.3. Comparaison des régions contra latérales.

En ce qui concerne les écarts de température entre les cotés gauche et droit d’un même niveau, il n’est pas aisé de mesurer les changements à l’aide de données chiffrées. Nous avons donc du nous résoudre à évaluer l’effet supposé du traitement, dans le sens d’une ré équilibration éventuelle, par l’analyse qualitative des courbes. Celles-ci font apparaître une ré équilibration plus ou moins nette dans six cas sur onze. Nous observons, de surcroît, pour la plupart des sujets, un réchauffement non négligeable de la région la plus froide qui, parfois, devient même la plus chaude.

3.7.2. Répercussions d’un entraînement à l’eutonie.

Résultats et discussion.

Rappelons que, dans cette étude, nous nous sommes limités à la comparaison des températures lombaires de notre second échantillon expérimental (B) à celles de deux groupes de contrôle (C et D). Si nous avons décidé d’axer notre étude sur L4, c’essentiellement parce que les pré tests administrés à A avaient révélé, pour cette région, des températures souvent inférieures à celles des régions cervicale ou dorsale. De plus, les températures de la région lombaire présentaient plus de variations d’un moment à l’autre. Nous avons donc confronté l’évolution des températures lombaires de B et de D. L’examen des températures relevées dans les trois groupes ne manque assurément pas d’intérêt (voir tableau V). Nous constatons que le groupe C ne présente pas de véritable modification des températures de la région lombaire de l’une à l’autre des cinq séances. Il y a bien une régularisation relative des températures au cours de chacune des cinq séries de mesures, mais on observe plutôt une certaine anarchie dans l’évolution, tant en analysant le tableau de la gauche vers la droite, c’est-à-dire en passant du premier au treizième moment, qu’en confrontant les données recueillies au même moment de la première à la cinquième séance. Sous l’influence de facteurs incontrôlables, les températures cutanées para vertébrales subissent donc des variations aléatoires dans le sens de l’élévation ou de la diminution. Les moments 7 et 13 – au cours desquels les sujets étaient invités à porter une attention particulière à l’endroit où se trouvaient les sondes – confirment cette anarchie et il est évident que cette concentration n’a pas eu en C, la moindre incidence sur la variable étudiée. Dans le second groupe témoin (D), compte tenu du plus grand nombre de données, la courbe est plus régulière, mais la progression est sensiblement la même et, surtout, on constate une légère chute des températures au moment 13, lorsque les individus se concentrent sur la région lombaire. La courbe des résultats obtenus par les étudiants entraînés à l’eutonie a, en revanche, une allure fort différente. En premier lieu, elle est régulièrement ascendante et, à partir du moment 8, les températures de B sont nettement supérieures à celles de tous les autres groupes. L’analyse de variance montre que, du 8e au 13e moment, la différence entre B, d’une part, C1, C2, C3, C4, C5 et D, d’autre part, est toujours significative et le plus souvent à .01. Notons tout spécialement la hausse enregistrée au moment 8 après

Tableau V
Evolution des températures lombaires.
Second groupe expérimental et groupes de contrôle.

Groupe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
  33,03 33,43 33,73 33,80 33,84 33,84 34,13 35,00 35,29 35,50 35,72 35,86 36,03
  33,73 34,21 34,20 34,12 34,16 34,30 34,47 34,51 34,51 34,45 34,41 34,20 34,07
  33,50 33,73 33,86 34,04 34,08 34,26 34,18 34,13 34,19 34,06 34,34 34,49 34,56
  33,75 33,76 33,61 33,43 33,49 33,80 33,60 34,03 34,32 34,51 34,36 34,38 34,14
  33,62 33,09 33,13 32,74 33,90 34,76 33,87 33,78 33,77 33,72 33,98 34,11 34,17
  33,97 33,90 33,78 33,90 33,84 33,73 34,18 34.27 34,74 34,38 34,51 34,59 34,79
  33,47 34,25 34,34 34,35 34,43 34,40 34,44 34,69 34,59 34,65 34,68 34,71 34,63

B: groupe entraîné à l’eutonie
C et D: groupe de contrôle
Les températures soulignées et indiquent une diminution.


une première période d’observation de la région lombaire. La température atteint alors 35° C et pendant les trente dernières minutes, elle reste toujours supérieure à ce seuil. Enfin, au moment 13, alors que les sujets étaient invités une nouvelle fois à porter leur attention au niveau testé, la température dépasse 36° C !

L’hypothèse 3.3.4. est donc vérifiée. L’entraînement à l’eutonie détermine une modification des températures cutanées para vertébrales de la région lombaire. Celles-ci augmentent de manière significative et cet effet est plus marqué lorsque les sujets observent attentivement la région concernée.

4. Conclusions Générales

4.1. Synthèse des résultats.

Nos recherches se sont étalées sur une période de trois ans et ont impliqué la participation de nombreux groupes expérimentaux et de contrôle. Elles ont permis de vérifier une série d’hypothèses relatives aux répercussions de l’entraînement à la prise de conscience du corps. Nous avons pu établir notamment, que la méthode préconisée par FELDENKRAIS augmentait le rendement de l’individu dans le domaine de la mémoire auditive ou visuelle, qu’elle favorisait l’apprentissage d’une langue étrangère, qu’elle améliorait les performances dans les épreuves de perception visuelle et qu’elle déterminait des modifications significatives au niveau des températures cutanées para vertébrales.

Il est vrai que les échantillons étaient relativement restreints et les informations obtenues ne sont encore que très partielles car le plan expérimental était élaboré, dans chacune des expériences, en fonction des hypothèses qui nous apparaissaient comme les plus fondamentales. De nombreuses questions n’ont donc toujours pas reçu de réponse et les données enregistrées demandent sans doute à être confirmées tant dans le cadre de la psychologie de laboratoire qu’au niveau de la pratique scolaire quotidienne.

Il n’est pas inutile, cependant, d’insister sur la convergence indiscutable des données recueillies au cours des cinq recherches successives que nous avons menées. Elles semblent révéler que la méthode testée favorise effectivement le développement des potentialités. Avant de tenter une interprétation quelconque, interrogeons-nous de même au sujet des limites de validité des conclusions que nous pourrions tirer.

4.2. Limites de validité.

Nous croyons avoir pris suffisamment de précautions pour atteindre la validité interne. Dans notre recherche, les principales variables qui risquaient de contaminer les résultats ont été contrôlées ou, tout ou moins, neutralisées. Il en est ainsi, notamment, à coté des conditions matérielles dans lesquelles se sont déroulées les épreuves, des effets du pré test, de la maturation, de la mortalité et des autres biais potentiels. Rappelons, par ailleurs, que nous avons eu recours généralement à un dispositif longitudinal qui, au regard de la validité interne, présente de sérieuses garanties. Tout en assurant le contrôle d’autres variables parasites (régression statistique, effet Hawthorne, etc.), il a permis d’accumuler une série d’observations extrêmement intéressantes. Dans bien des cas, celles-ci annonçaient les changements que nous avons mis en évidence lors de l’application des post tests. En outre, à l’occasion des échanges de vue qui eurent lieu à la fin de chacune des séances d’entraînement, les sujets ne se sont pas contentés de souligner l’état de fraîcheur qui les caractérisait alors – tout se passe, nous ont dit plusieurs des ces étudiants, comme si la fatigue de la journée avait disparu – mais ils ont mis également l’accent sur les possibilités accrues de concentration et sur une augmentation de rendement dans l’étude de leurs cours.

Au cours de notre expérience, les progrès importants et significatifs réalisés, par exemple, dans l’épreuve de perception visuelle ne sont évidemment pas fortuits et ne se justifient pas non plus par l’accoutumance à la situation dont le pré test serait responsable, ou alors le groupe témoin aurait évolué de manière comparable.

Dans l’ensemble, les résultats enregistrés ne sont sûrement pas accidentels et ils s’expliquent essentiellement par l’intervention de la variable indépendante. Est-il possible, par conséquent, de conclure à la validité externe? Nous savons que la généralisation des résultats d’une recherche est liée aux modalités d’échantillonnage. Or, nos travaux ont porté non pas sur des échantillons aléatoires, mais sur des échantillons occasionnels et restreints. Nous ne nous permettrons donc pas de généraliser hors de l’expérience aussi longtemps que les effets mis en évidence ne seront pas une nouvelle fois confirmés.

Les répercussions d’un entraînement à la prise de conscience du corps mériteraient d’entre testées, à présent, dans différents types d’apprentissages. Compte tenu des résultats déjà obtenus, nous pouvons supposer que les hypothèses émises à propos de l’incidence des techniques de FELDENKRAIS ont toutes les chances d’être vérifiées.

4.3. Essai d’interprétation physiologique.

Au terme de ce travail, il resterait, en principe, à préciser les modifications qui, sur le plan physiologique, conditionnent les changements enregistrés. Une telle tentative dépasse nos compétences. La synthèse des données relevées dans la littérature et de celles qui découlent de notre recherche nous autorise, tout au plus, à avancer quelques hypothèses. Une conscience plus approfondie de soi-même déterminerait, d’une part, un accroissement du rendement de la mémoire visuelle ou auditive, et un affinement de la perception visuelle et, d’autre part, une modification de la température cutanée. N’influerait-elle pas sur les centres de l’éveil qui, à leur tour, exerceraient une action régulatrice sur le système nerveux végétatif et sur le mécanisme d’intégration de la perception? En ce qui concerne la température, deux types de récepteurs assurent la thermorégulation: les récepteurs périphériques et les récepteurs centraux. Ces derniers sont situés dans la région hypothalamique. Or, les connexions entre cette région et la substance réticulée sont nombreuses. De plus, les expériences de HESS Junior (3) confirment les rôles respectifs de l’hypothalamus postérolatéral et antérieur dans la régulation du niveau de veille. Ne peut-on penser, dès lors, que le niveau de veille, renforcé par l’entraînement à la prise de conscience, active les centres thermorégulateurs dans le sens d’une meilleure répartition de chaleur, ou encore, que le cortex préfrontal et oculogyre, sensibilisé par les informations transmises par le système réticulaire ascendant, ne les intègre en vue d’un meilleur ajustement des réponses du système orthosympathique? Par ailleurs, le relèvement du niveau de veille permettrait à la substance réticulée d’agir par l’intermédiaire des voies réticulo-spinales sur les tensions musculaires, favoriserait le relâchement musculaire et, par conséquent, l’augmentation du <<lit veineux>>, les dimensions de celui-ci étant sous la dépendance du tonus musculaire (SAPIR cité par GEISSMAN et al.,1968, p. 160).

Quant à l’influence du niveau de veille sur la perception visuelle, rappelons, avec GEISSMAN et al., que celle-ci est diminuée au cours de l’entraînement à la relaxation, quelle que soit la méthode utilisée. Dans nos recherches, un tel entraînement a également déterminé une diminution du rendement de la mémoire visuelle. En revanche, conformément à l’hypothèse émise, les techniques de FELDENKRAIS ont conduit à une chute significative du seuil de perception visuelle.

Le moment est sans doute propice pour rappeler, avec PIÈRON que la perception est une prise de conscience sensorielle d’objets ou d’événements extérieurs qui ont donné naissance à des sensations plus ou moins nombreuses et complexes. MEULDERS et SCHEPENS-BOISACQ ajoutent que <<la perception est le résultat de l’intégration intracérébrale des influx nerveux provenant des organes des sens…Elle n’est pas déterminée exclusivement par les influx sensoriels, mais dépend de la structure des activités centrales à ce moment-là… La perception apparaît donc plutôt comme un acte de décision au niveau cérébral quant à la signification probable des informations sensorielles pour le sujet>>. Dès lors, si les structures centrales responsables des modulations de l’état de conscience, en l’occurrence la formation réticulée, sont activées par un traitement adéquat, n’est-il pas logique de s’attendre à une modification du seuil de perception ?

Ajoutons encore que MORUZZI et MAGOUN1 ont montré que la stimulation réticulaire affine les discriminations sensorielles. Ceci peut être expliqué par les relations qui unissent la formation réticulée et les organes de sens. Les afférentes visuelles extra lemniscates, entre autres, rejoignent le cortex en passant par la formation réticulée. N’est-il donc pas concevable, dans le cas où la formation réticulée est stimulée par la prise de conscience, que la transmission des informations destinées au cortex soit optimisée? Celui-ci assurerait ainsi les intégrations psycho sensorielle et psycho motrice, particulièrement par les régions médiane et orbitaire de l’aire préfrontale dont le rôle sur l’attention et la mémoire de fixation a déjà été souligné.

A partir du moment où nous acceptons le caractère dynamique de la perception (KAYSER, 1969, p. 949), non seulement au niveau cérébral, mais encore au niveau musculaire, une autre interprétation paraît encore plausible. La prise de conscience des mouvements de veux associés et dissociés de ceux de la tête permet, certes, un enrichissement de la perception proprioceptive et kinesthésique. De plus, le contrôle de la position de la tête, du subaplomb antérieur réduit au minimum, diminue les tensions musculaires cervicales, décomprime les filets nerveux des centres orthosympathiques vasomoteurs et améliore ainsi la circulation sanguine. Ces facteurs ne pourraient-ils expliquer, qu’après un tel travail, les sujets éprouvent une impression de plus grande clarté visuelle et que, simultanément, on assiste à une diminution du seuil de perception visuelle?

Au terme de ce travail, rappelons que, si les théories de LOZANOV ont constitué le point de départ de notre première expérimentation, les techniques suggestopédiques nous apparaissent, aujourd’hui, comme largement dépassée. Elles présentent au moins l’inconvénient de renforcer la dépendance de l’élève par rapport à un maître plus ou moins prestigieux et par rapport aux conditions d’environnement. Par contre, avec les techniques de prise de conscience du corps, en supposant que leur efficacité puisse être confirmée dans de nouvelles recherches, nous disposerions d’un outil particulièrement précieux puisqu’il favoriserait l’accession de l’individu à l’autonomie.

Notes:

1 Département de Psychologie, Université de l’Etat, Mons (Belgique).
2 Réalisé avec la collaboration de R. ABELS.
3 Cité par MEULDERS et SCHEPENS-BOISACQ.


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Adresse des auteurs:
Département de Psychologie
Université de l’Etat
Mons (Belgique).

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